mardi 22 décembre 2009

"Les grecs pensaient qu'être condamné à faire et refaire le même geste, servait à trouver où, dans ce geste, s'était glissée "l'erreur". Raconter cette histoire est une tentative de trouver où, dans "mon" histoire s'est glissée l'erreur me condamnant à cet étrange chagrin" Wajdi Mouawad

dimanche 20 décembre 2009

Parents

Il ne s'agit pas tant de chercher la reconnaissance de nos parents, qu'ils soient fiers de nous, mais plutôt de chercher à être dignes d'eux.

le voyage, réponse à un ami

Ce ne sont pas les lieux qui me manquent. J'ai plutôt l'impression, pour ma part, que c'est en revoyant des personnes que j'ai perdues de vue que je me retrouve un peu. Comme si je laissais à chaque personne rencontrée, que j'ai aimée, avec qui j'ai partagé des choses, une partie de moi. D'ailleurs, partager c'est ça aussi, c'est se partager. Tu parles des lieux, je parle des personnes. Peut-être aussi parce que la plupart des personnes qui m'ont marquées étaient elles-aussi en transit, repartaient vers un autre territoire. Rennes ne me manque pas, comme Jersey ne me manque pas, ni les autres endroits d'ailleurs puisque les personnes que j'y ai aimées n'y sont plus.
Alors, j'ai pris un peu de leurs vies, ils ont pris un peu de la mienne. Ils gardent en eux un peu de moi, parce que l'échange qu'on a eu ce n'était pas seulement des mots, peut-être justement parce qu'on est dans l'urgence du départ, on se donne, parce qu'on devine qu'on ne se reverra jamais, ou peut-être si. La rencontre se fait sans projection dans le futur, comme ça. On n'attend rien. On ne risque rien. Je peux me confier à l'autre parce qu'il ne sera peut-être pas là demain, il ne connaît pas ma vie, ni moi la sienne. C'est une chimie qui s'opère -ou pas- par et au-delà des mots. J'échange et c'est ce qui fait de moi un être humain. En échangeant, je fais partie d'un tout qui me dépasse. Je me relie au monde entier, à l'humanité.
Ca peut paraître prétentieux mais c'est comme ça que j'apprends à me connaître et à connaître les autres. C'est comme ça que je me sens vivante.

Mais c'est pas toujours facile à vivre non plus, parce que les relations ne sont pas toujours intenses, que certaines se construisent dans un quotidien, en longueur et que parfois c'est difficile de dire au revoir. Je ne sais pas dire au revoir. Je pars.
Et puis, c'est dur de rester, de se projeter dans un futur avec quelqu'un. De faire confiance à la relation, à l'autre. Je me dis, et c'est con je sais, que les personnes qui sont restées proches de moi depuis longtemps, l'ont fait parce qu'elles n'avaient pas le choix. Pour ma famille, c'est dans l'ordre des choses- et d'ailleurs les quelques fois où je me suis fait jeter de la maison, c'est ce monde là qui m'échappait : l'ordre des choses. Si je me fâchais réellement avec ma famille au point de ne plus la voir, alors il n'y avait pas d'ordre, rien auquel je pouvais me relier, appartenir. Pas de base inconditionnelle. Pour mes amis, je me dis qu'ils m'aiment pour ce que je leur sers: du temps, une écoute, être là. Je me sens toujours en défaut de leur demander quoi que ce soit. Je me dis qu'ils vont partir et je les comprendrais. Ouais, l'estime de soi... j'y travaille en ce moment...
Alors, bouger sans arrêt, calculer en combien de temps je fais ma valise, savoir exactement s'il y avait quelque chose qui me poussait à partir là maintenant, savoir ce que je prendrais avec moi pour continuer ma vie, finalement tout ça, ça nous rattache à quoi? à qui? Et est-ce que ça ne nous empêche pas justement de construire quelque chose avec les autres?

Je te raconte une anecdote et après promis, j'arrête de faire des mails interminables!
Pendant une des interventions à Fontenay-sous-bois, un Chinois nous a invité chez lui pour partager une recette de son pays. Il vivait dans une immense tour HLM, un appartement F2 je crois. Tout dans son appartement était chinois, sauf peut-être le verre à moutarde avec un joueur de foot français. Sinon, tout était chinois. La cuisine était remplie de sacs, sachets de produits chinois, je ne peux pas te dire de quoi il s'agissait... La télé, même, diffusait en permanence les feuilletons chinois! Il y avait très peu de mobilier. Rien de lourd, ni d'ancien. Du conforama, pas cher et démontable, sans valeur. Peu de choses au mur aussi, juste un calendrier... chinois! La table du salon, c'était du temporaire : une planche soutenue par une valise. Et c'est cette grande valise, posée au milieu du salon, devant la télévision chinoise, en plein cœur d'une banlieue HLM, qui m'a fait comprendre qu'il n'était pas vraiment là, en France. Il pouvait, à tout moment décider d'enlever cette planche, de remplir sa valise et de laisser la porte ouverte derrière lui. Tout laisser puisque rien ne lui appartenait vraiment, il n'était rattaché à rien dans ce lieu si ce n'est cette valise. Alors, oui je comprends quand tu dis qu'à force d'être toujours sur le départ, on n'est jamais vraiment chez soi.

C'est peut-être aussi pour ça que quand j'ai commencé à bouger, on m'a dit que "plus tu bouges, plus tu as envie de bouger". Quand tes racines sont coupées, que tu t'en es libéré finalement, que tu t'es rendu compte qu'ailleurs c'était différent mais pas toujours dangereux, que tu pouvais t'adapter facilement, alors tu n'as plus peur de partir mais tu as peur de rester, tu as l'impression que tu vas rater quelque chose si tu restes là trop longtemps.

Alors peut-être que c'est ça pour nous -même si j'ai beaucoup moins bougé que toi, je comprends complètement ce partout et nulle part- on part parce que sinon on aurait l'impression de passer à côté de notre vie, de la vie tout simplement. On bouge pour se sentir vivre, pour sentir le monde bouger aussi, parce qu'arrêter de bouger, se poser, ça voudrait dire être mort.
Le problème dans tout ça, c'est que l'engagement est très difficile. Je me rends compte aujourd'hui que j'ai du mal à aller au bout des choses, que ce soit des relations ou des choses entreprises. Une fois la découverte passée, je me lasse et je me casse. Je travaille là-dessus en ce moment... Je crois que je me suis tellement répété que j'étais seule que je le crois vraiment. Alors, ça contredit ce que je disais au début du mail, genre je fais partie d'un tout, mais en fait non : je suis seule au milieu du tout. Comme si en fait, il y avait des fils qui me reliaient aux autres, mais pas en permanence, des tuyaux qui partiraient de mon ventre, qui flotteraient comme ça dans une immense nébuleuse et que de temps à autre une personne ou plusieurs en attrapait une ou plusieurs extrèmités, qu'il le portait à sa bouche pour souffler dedans, pour me donner de l'air ou en prendre, se nourrir, je sais pas. Et puis ce serait au tour d'une autre.

8 février 2009